mardi 17 février 2015

Le modèle occidental, par Philippe Richardot




Extrait de Le modèle occidental, Paris, Economica, 2007 ;

La première guerre mondiale de religion se fait contre et sans l’Occident 2001- ?

Le 11 septembre 2001 voit un mouvement islamiste sunnite wahabite détruire au moyen d’avions de ligne détournés les deux tours géantes du World Trade Center à New York et le bâtiment du Pentagone, cœur de la puissance militaire US, à Washington. Même aux pires moments de la Seconde guerre mondiale, ni l’Allemagne, ni le Japon n’ont été capables de frapper au cœur de l’Amérique. C’est la conséquence d’une déclaration de guerre sainte déclarée en février 1998 à partir de l’Afghanistan par le mouvement Al Qaeda. Il s’agit d’une Organisation Non Gouvernementale du terrorisme islamique dirigée par le millionnaire saoudien Ousama Ben Laden, a démontré qu’avec des moyens réduits, elle était capable de lancer une guerre mondiale par l’extension de ses frappes. De Bali à Washington, une cohorte d’attentats frappent les Etats occidentaux, musulmans et africains. A l’action d’Al Qaeda, qui est une mouvance et un mouvement, s’ajoutent les innombrables guérillas islamistes : GIA en Algérie, Tchétchènes aux confins de la Russie, Taliban en Afghanistan et au Liban, Hammas en Palestine, Hezbollah au Liban, Chiites en Irak, Moros aux Philippines, islamistes du Londonistan... L’affaire des caricatures de Mahomet par un journal danois, qui a représenté le Prophète avec une bombe dans un turban, a donné naissance à des provocations le représentant en porc et 80 chrétiens ont été tués dans le monde musulman (hiver 2005-2006). A cette frappe mondiale contre l’impérialisme US, l’Occident chrétien, les juifs et les tendances musulmanes modérées, s’ajoute une capacité de résistance dans le temps supérieure à la Wehrmacht. L’armée des Etats-Unis, la première du monde, n’est pas parvenue à retrouver Ousama Ben Laden et à éliminer les Taliban en Afghanistan entre 2001 et 2006, soit une durée supérieure à la Seconde guerre mondiale. Depuis 2003, l’Irak est militairement occupé, son dictateur Saddam Hussein sous les verrous, mais les Américains et leurs alliés britanniques ou autres ne parviennent pas à pacifier le pays qui a un rythme d’attentats hebdomadaires. Les alliés des Américains sont frappés sur leur territoire : 800 tués et blessés dans le métro de Londres en 2005. C’est donc un nouveau type de guerre mondiale. Il se fait grâce à la mondialisation qui permet des transports planétaires rapides et des communications téléphoniques et informatiques immédiates, installe quelques dizaines d’activistes, des milliers de sympathisants dans des pays occidentaux où des millions de musulmans résident depuis les années 1970. Si les racines de l’attentat du 11 septembre 2001 sont à rechercher dans la révolution islamique chiite en Iran dès 1979, qui a entraîné une vague d’attentats occidentaux dans les années 1980 et dans les guerres israélo-arabes depuis 1949, c’est bien une première guerre mondiale de religion qui impose son rythme à l’Occident. C’était le contraire lors des deux premières guerres mondiales où le monde arabo-musulman colonisé n’était qu’un théâtre des luttes entre Occidentaux. L’adversaire principal des islamistes sont les Etats-Unis, la seule grande force occidentale qui tient l’Europe sous sa dépendance militaire à travers l’OTAN et contrôle les relais politiques majoritaires dans l’Union Européenne. Ils imposent à cette dernière son extension à la Turquie géographiquement et historiquement contre-nature, mais devant faciliter l’encerclement du monde arabe et propice à affaiblir l’Europe. Les Etats-Unis baptisent officiellement cette guerre GWOT (Global War on Terrorism), littéralement « guerre globale contre le terrorisme ». L’adversaire n’est nommé que par son mode d’action, un peu comme si la guerre contre l’Allemagne nazie avait été surnommée « guerre contre les Panzer ». Néanmoins, ni l’IRA irlandaise, ni le FLNC corse ne sont concernés par cette GWOT. Incapables de nommer précisement leur adversaire à cause de l’idéologie de la Political Correctness, les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux n’ont pu définir de stratégie efficace contre. Alors que les Etats-Unis utilisent leurs forces armées à l’extérieur, les Occidentaux utilisent leur police à l’intérieur et traitent les combattants du Djihad comme des droits communs sans reconnaître l’état de guerre. A la confusion des idées s’ajoute celle des buts. Les Etats-Unis ont tiré parti de l’agression du 11 septembre 2001 pour contrôler la production pétrolière de l’Irak et avancer le projet d’un oléoduc qui irait de la Caspienne au Pakistan via l’Afghanistan. Ce positionnement encercle aussi l’Iran, puissance islamiste mais surtout pétrolière et prétendant nucléaire. Cette confusion des buts renforce moralement le terrorisme islamique et risque de se retourner contre les Américains qui peuvent se révéler à la longue incapables de contrôler les installations pétrolières. Cette nouvelle guerre confronte matérialisme économique et religion, de même que sur le plan des moyens elle affronte Goliath à David. Les deux ont une prétention mondiale. A terme, l’islamisme arabe se conjugue avec la révolution islamique iranienne qui, installée depuis 1979, a des prétentions nucléaires, évoque l’anéantissement d’Israël (2005) et refuse l’ultimatum de l’ONU en la déclarant incapable de sanction (2006). Le 16 septembre 2006, le Pape Benoît XVI constate qu’au Moyen Age, la religion catholique considérait l’islam comme belligène et attire des incendies d’églises, des violences contre des chrétiens et des menaces de mort contre lui ainsi que des demandes d’excuses venant de pays musulmans, comme l’Etat laïc de Turquie. Il présente des regrets, se prosterne dans une mosquée lors de sa visite en Turquie dont il soutient désormais la candidature à l’Union Européenne. Cette attitude traduit un changement radical dans le rapport de forces millénaire entre les deux religions.

ANALYSE DES STRATEGIES COMPAREES ETATS-UNIS- ISLAMISTES
D’après Philippe RICHARDOT, Les Etats-Unis hyperpuissance militaire, 2e édition remise à jour, Economica, Paris, 2005

ETATS-UNIS

ISLAMISTES

Posture : contre-offensive
Posture : offensive
Temps : La perspective d’une guerre longue ne dépasse pas dix ans ; la brièveté du temps mesure la réussite. La durée émousse la volonté combative et force au retrait
Temps : La maîtrise de la durée est la clé de la victoire ; le temps mesuré n’a aucune importance
Idéologie : joue sur deux registres : (externe) lutte pour la démocratie contre l’idée d’une guerre de religion/ (interne) défense du judéochristinanisme
Idéologie : Guerre de religion Djihad (guerre sainte)
Dispositif : visible
militaro-policier et judiciaire
Dispositif : invisible
terroriste, religieux et financier
Grande stratégie : Contrôle planétaire par l’économie, l’information, les relations diplomatiques bilatérales depuis la défection de l’ONU, la maîtrise sur le pétrole, l’OTAN, l’hyperpuissance militaire
Grande stratégie : Evincer les Etats-Unis du monde musulman pour contrôler le pétrole du Golfe et de la Caspienne. Etendre la religion musulmane à l’Europe et l’Asie du Sud, pour obtenir des moyens technologiques et industriels. Devenir la nouvelle puissance planétaire
Stratégie : directe
Surveillance renforcée du territoire U.S.
Recherche de l’appui international
Contre-attaque militaire limitée sur les grands foyers d’islamoterrorisme : Afghanistan et Philippines. Recherche d’une solution globale par l’invasion de l’Irak. La maîtrise des gisements pétroliers irakiens doit tenir l’Arabie et l’Iran. Ces derniers et la Syrie situés dans la sphère d’intervention militaire U.S. sont dissuadés
Stratégie : indirecte
Action terroriste sur tous les continents pour: Faire sauter des verrous (Algérie, Tchétchénie), attirer les Etats-Unis dans un piège militaire de type Viêt-Nam, perturber l’économie de marché (échanges aériens, assurances maritimes), freiner les flux d’Occidentaux en direction des pays musulmans
Mode Opérationnel :
Mobilisation de la Garde Nationale
Surveillance des aéroports et des points sensibles
Défense aérienne accrue
Recherche du Renseignement à l’intérieur et à l’extérieur
Procès pour terrorisme
Projection aéronavale
Infiltration de Forces spéciales et bombardement aérien pour appuyer des auxiliaires au sol en Afghanistan
Offensive aéroterrestre en Irak et pacification
conjointe à des auxiliaires et à des alliés européens
Mode Opérationnel :
Offensive sur plusieurs fronts :
- 1998= 2 attentats contre ambassades US au Kenya et en Tanzanie
- septembre 2001= assassinat de Massoud en Afghanistan + attentats multiples et simultanés aux Etats-Unis
- octobre, décembre 2001= attentats contre le parlement de Srinagar (Cachemire), puis contre le Parlement indien
- octobre 2002= assassinat de deux GI’s U.S. au Koweït, attentat contre un pétrolier français dans l’océan Indien, attentat contre une discothèque en Indonésie, prise d’otages à Moscou
- 28 nov 2002 : attentats contre un appareil d’Elal au Kenya et à en Israël
Guérilla locale en terre musulmane
Refus de la présence U.S. en Irak (chiisme)
Tactique : Méthodes policières et judiciaires
Utilisation de munitions intelligentes et de communications performantes ; principe du « zéro mort » dans le camp ami
Tactique : Hyperterrorisme (destructions massives) par commandos de kamikazes, explosifs ; détournement d’avions, prise d’otages ou embuscades, attaques contre forces de l’ordre, émeutes contre minorités religieuses et assassinats ponctuels
Propagande : maîtrise de l’information mondiale par CNN et les TV des pays alliés
Propagande : rendre dépendante l’infosphère occidentale d’apparitions diffusées par Al-Djezira


Conclusion


L’Europe a lancé le modèle de la guerre mondiale et fait de ses colonies les théâtres d’opérations secondaires de ses conflits. L’Afrique, l’Asie comme l’Amérique coloniale y ont été les spectateurs et les auxiliaires des luttes européennes. L’arrivée du Japon comme compétiteur régional asiatique a encore plus mondialisé la guerre dans la première moitié du XXe siècle. Les deux guerres mondiales sont liées à l’appétit de puissance allemand en Europe, mais si la première a pour motivation le rang, la seconde est plus idéologique. Néanmoins, le modèle de la guerre mondiale était lié à la puissance de l’Europe occidentale. Les deux guerres mondiales, résultat de la puissance européenne, ont cassé cette même puissance et rejeté l’Europe à la périphérie de l’Occident. La Seconde est la plus grande et sans doute la dernière mondiale qui obéisse au schéma occidental. Après 1945, la Guerre froide définit un monde bipolaire, mais les conflits armés y deviennent secondaires et non-européens car la bombe atomique pousserait la lutte au suicide mutuel. Dans cette Guerre froide, l’Europe n’est plus qu’un enjeu entre les Etats-Unis et l’URSS. Néanmoins, comme pour les deux guerres précédentes, ce sont les nations les plus riches et les plus démocratiques qui l’emportent. La fin de l’URSS, ramenée à la Russie en 1991, rend la guerre interethnique possible en Europe balkanique et laisse la place libre pour d’autres compétiteurs à la domination mondiale, mais qui ne sont plus, contrairement au modèle occidental, des Etats-nations et dont le motif n’est ni le rang, ni la richesse, mais la religion islamique. Loin de mener la danse, l’Occident est devenu une cible dans une guerre qu’il ne comprend pas. Les perturbateurs de la paix mondiale ne sont plus les Allemands et les Soviétiques comme au XXe siècle. Née de la conception occidentale des relations diplomatiques, et contrairement au précédent de la SDN, l’ONU tient le coup, peut-être parce qu’elle ne condamne pas les « Grands » et ne s’est jamais attaqué qu’aux « petits ». La guerre reclasse les puissances.


LA GUERRE MONDIALE RECLASSE ET DECLASSE L’OCCIDENT
Période
Situation de l’Occident
Guerres dynastiques et thalassocratiques
1715-1815
L’Europe est le centre d’impulsion tandis que le reste du monde forme un théâtre secondaire d’opérations
Première guerre mondiale
1914-1918
L’Europe est le centre d’impulsion de la guerre mondiale mais la solution vient des Etats-Unis
Seconde guerre mondiale
1939-1945
L’Europe est le centre d’impulsion de la guerre mondiale mais le Japon forme un pôle secondaire et la solution vient des Etats-Unis et de l’URSS
Guerre froide 1947-1991
L’Europe est à la périphérie de l’Occident dont les Etats-Unis sont devenus le centre
Première guerre mondiale de religion
2001- ?
Les Etats-Unis sont le centre de l’Occident et du monde tandis que l’Europe reste la périphérie de l’Occident et cherche à casser son modèle pour une Euroméditerranée